Soutine et Modigliani au musée Fabergé

Alors que je rentre avec un peu de retenue dans le musée Fabergé de Saint Petersbourg, je suis récompensée par une excellente surprise : une exposition dédiée à Modigliani et Soutine, deux artistes clés de l'école de Paris, occupe toute l'aile gauche.


Zeuxis présente l'exposition Modigliani Soutine au musée Fabergé

Zeuxis présente l'exposition Modigliani Soutine au musée Fabergé

Deux artistes très amis rapprochés sans doute par leur parcours similaire :

- Deux expatriés : l'un slave qui vient des confins de la Russie et l'autre italien

- Deux artistes maudits, se consacrant entièrement à leur art et vivant dans une grande pauvreté

- Un amour partagé de l'art ancien : ils vont souvent au Louvre pour voir Rembrandt (on apprend que Soutine dansait sur place devant les carcasses du grand peintre - Le bœuf écorché).

- Une fascination et un penchant pour les portraits au cœur de leur travail 

Dans les années 1905, les collections du Trocadéro - qui mettent en avant l'art « nègre » - inspirent Modigliani qui commencera sa vie d'artiste comme sculpteur.

Il aime travailler les matières nobles et doit arrêter la sculpture en 1910 pour des raisons de santé - la poudre et la poussière abîmaient ses poumons et l'ont rendu tuberculeux.

Modigliani est donc un peintre qui voulait être sculpteur... D'ailleurs dans ses premières peintures, il se concentre exclusivement sur les visages, comme dans ses sculptures.

Soutine commence par peindre beaucoup de natures mortes. Elles représentent assez simplement les plats qui composaient ses repas. On découvre donc une assiette très sobre avec 3 harengs par exemple.

Ils se rencontrent en 1915 dans le quartier de Montparnasse - sûrement dans un des QG des artistes de l'époque comme la Rotonde - et deviennent rapidement très proches, jusqu'à partager leur atelier.

Zeuxis présente l'exposition Modigliani Soutine au musée Fabergé

Villa Gabriel, atelier d'artiste partagé notamment par Modigliani et Soutine (15e arrondissement de Paris)

L'art du portrait est un des seuls points communs dans leur peinture : si les deux artistes veulent faire ressortir l'âme de leur modèle, l'un c'est par beauté, l'autre par la laideur...

Les deux copains ressemblent à leurs tableaux : l'un est beau, séducteur et séduisant et l'autre est cabossé et moins facile d'accès. 

Zeuxis présente l'exposition Modigliani Soutine au musée Fabergé

On s'amuse alors à comparer les tableaux : tout oppose la petite fille gracieuse aux grands yeux bleus de Modigliani et celle déformée aux yeux globuleux de Soutine.

Zeuxis présente l'exposition Modigliani Soutine au musée Fabergé

On se demande comment Soutine peut produire une telle beauté avec autant de laideur...

On se rapproche de sa carcasse de viande avec dégoût et en plissant les yeux mais de près on voit à quel point le trait et la matière sont remarquables. De la même façon on se rapproche de ses portraits : la bouche tombe, la silhouette tremble, le regard est fort, on y sent de la détresse, on est mal à l'aise. 

À l'inverse un portrait de Modigliani vous regarde avec délicatesse - même quand les yeux sont pleins ! - les poses sont gracieuses et les visages avenants.

Zeuxis présente l'exposition Modigliani Soutine au musée Fabergé

Zeuxis présente l'exposition Modigliani Soutine au musée Fabergé

La peinture des deux artistes n'a donc naturellement pas le même impact auprès du public :

Modigliani plait, attire et est applaudi et Soutine lui est sous-évalué, son travail est moins acceptable, il bouscule, gêne et dérange trop (il a d'ailleurs inspiré Bacon).

Modigliani devient un peu le mentor de Soutine dans les moments difficiles et défend avec conviction le talent de son ami. Il dira d'ailleurs à sa mort, à 35 ans, « je pars mais je laisse Soutine ».